par admin
Cette « juste part » paraît avoir été fixée en fonction des besoins financiers des universités, tels que déterminés par les recteurs. Elle relèverait davantage du calcul que du principe, mais il arrive souvent que l’argent devienne une question de principe, Michel Pepin, radio-canada
Il y a de l’effervescence dans l’air ! Le printemps 2012 au Québec nous rend fiers de nos jeunes, nous leurs parents. Leur entêtement nous réveille et nous sort de notre désenchantement devant la torpeur qui semblait paralyser la conscience sociale depuis si longtemps.
Les revendications étudiantes reposent sur une argumentation qui vaut la peine d’être lue et relue. Sur le site de la CLASSE, de la FECQ, de la FEUQ. Elles nous montrent que l’éducation forme nos jeunes adultes à l’analyse et à la réflexion. Préparés, chiffres à l’appui, dossiers en main, les représentants des différentes fédérations étudiantes peuvent décortiquer les procédures, les budgets, les malversations, les incohérences, démonter les décisions politiques et proposer des solutions. C’est ce que nous aimons, et c’est ce qui explique que nous les appuyons. Bien sûr, la base de type syndical des associations et des fédérations étudiantes les aide à se structurer et à s’organiser.
Il existe aussi un outil d’information simple, droits de scolarité, mis en ligne par les « étudiantes et étudiants pour le droit à l’éducation », qui renseigne sur les coûts réels universitaires et sur l’impact des hausses envisagées. Par exemple, la facture totale d’une année universitaire sera de 4 700 $ pour l’exercice 2016-2017 si les hausses sont appliquées, alors qu’elle était de 2 206 $ en 2007. La dette moyenne des étudiants-es ayant fini leur premier cycle est de 14 000 $ en 2012. La moitié de la population étudiante provient de familles dont le revenu est inférieur à 65 000 $. Chiffres à l’appui, le site nous dit que les hausses augmenteront la dette étudiante et les heures de travail salarié effectué pendant les études et fermeront l’accès à l’enseignement supérieur à plus de 7 000 personnes.
Une absence qui réjouit le gouvernement et les universités parce que ces étudiants québécois seront remplacés par des étudiants étrangers qui paieront sept fois leurs frais de scolarité, soit 15 000 $ par année, environ. Après l’industrie du porc, du saumon, des minerais, des fonds d’actions, de subprimes, de l’or, de l’eau, du touriste, etc., voici l’ère de « l’industrie de l’étudiant étranger » (sic) : la face cachée des droits de scolarité. Et les universités seront bientôt cotées à la Bourse ?
Et tout ceci n’est qu’une partie des enjeux, car tous les problèmes qui touchent l’enseignement supérieur ébranlent les valeurs et l’éthique qui caractérisaient le savoir et l’accès à ce savoir. Comme le souligne une étudiante qui se prononce contre la hausse des frais de scolarité.
Par ailleurs, les universités traverseraient depuis quelques années une crise de gestion et de transparence dont les étudiants, au bout du compte, feraient les frais : Quelle crise des universités ? L’auteur de l’article, l’avocat Louis Lapointe, nous rappelle que le débat dans sa totalité en est un de fond et couvre plusieurs points :
- La gratuité scolaire comme droit universel. Ce qui entraîne nécessairement une réflexion sur le gel des droits de scolarité, l’accessibilité aux études supérieures, la réussite scolaire, l’endettement, la contribution réelle de la classe moyenne, le nombre d’heures salariées des étudiants-es, etc.
- La gestion des universités. Ce qui inclut la tâche des professeurs, la contribution des chargés de cours, le financement de la recherche, la contribution des entreprises et du secteur privé, le salaire des recteurs et des vice-recteurs, etc.
Le politicologue Denis Monière résume dans la dérive financière des universités québécoises ce qui se passe entre les gouvernements et les universités depuis des décennies, et décrit les aberrations dans lesquelles se lancent les universités qui se compétitionnent entre elles pour aller chercher les subventions dont elles ont besoin.
Ceux qui risquent de perdre leur session au printemps 2012 seront des étudiants sacrifiés… au bénéfice de ceux qui suivront. Pour éviter cette perte de session, il y aurait des solutions raisonnables à court terme : conclure un report des hausses prévues assorti d’une entente ferme pour entamer des travaux de réflexion et de solutions profondes touchant l’enseignement supérieur.
Il est dommage que les médias, une fois de plus, traitent du sensationnel et alimentent les divisions sans vraiment informer la population. Il est difficile de comprendre les étudiant-es qui s’affichent publiquement (devant les caméras, par exemple) contre les décisions des fédérations étudiantes, ou qui demandent une injonction pour se permettre de « briser » les grèves. Certes, du point de vue de l’immédiat et de son individualité, moi et pas les autres, cela peut se justifier : manquer sa session et perdre l’argent qui y est investi, retarder sa diplomation, sa rentrée sur le marché du travail, etc. Mais lorsqu’on prend le pouls des rassemblements, l’ampleur des manifestations donne à réfléchir et à se taire, à défaut de participer. Car des milliers de personnes mobilisées depuis des semaines, ce n’est plus de la « récréation ». Difficiles à comprendre donc ces petits sabotages personnels, toutefois c’est cela la démocratie : être capable d’exprimer ses divergences dans une société apparemment libre !
La stratégie bien connue pour « casser » les rassemblements, les unions, est de créer et d’entretenir la division. Les gouvernements le savent et en usent. C’est pour cela que les fédérations étudiantes sont fortement invitées à rester unies par tous ceux qui les soutiennent. Comme porte-parole dans le milieu universitaire de nombreuses fois, Louis Lapointe parle de stratégie de la coordination. Ses articles sur le site de vigile.net nous en apprennent beaucoup dont ceci : « Ne nous le cachons pas, le véritable enjeu de l’actuel débat sur la crise des universités n’est pas la gouvernance ou la hausse des droits de scolarité des étudiants, mais bien le partage des sommes disponibles pour leur financement » (Quelle crise des universités ?)
La problématique est lourde et d’une importance considérable. Sa complexité dépasse largement une entente factuelle sur des frais de scolarité, « faire sa juste part » ou pas ! Elle demande un vrai débat, un débat social sur la gestion des fonds publics, sur le rôle et l’ingérence du privé dans les administrations d’État, sur les valeurs dictées par les institutions financières et ces gens d’affaires qui transforment le monde en marchandise et en crédit. Comme le résume un commentaire pertinent dans Le Devoir : « La grève étudiante n’est que la pointe de l’iceberg. Car il s’agit avant tout d’un conflit social où toutes les générations, flouées par le pouvoir politique et économique, doivent se serrer les coudes ». D’ailleurs, n’est-ce pas un peu cela que l’ASSÉ nous dit dans ses grands principes qui sont :
- pour une éducation publique, gratuite, laïque, de qualité, accessible et non-discriminatoire ;
- pour un régime d’aide financière adéquat ayant pour but d’éliminer l’endettement étudiant et d’assurer la satisfaction des besoins fondamentaux ;
- pour un réseau d’éducation public libre de toute ingérence de l’entreprise privée, y compris la sous-traitance ;
- pour la démocratisation des institutions d’enseignement dans une perspective d’autogestion ;
- pour une solidarité syndicale avec toute lutte internationale progressiste visant le mieux-être de la société ;
- contre toute forme de mondialisation qui entérine la prédominance du profit sur le bien-être de la population.
Les États-Unis connaissent une crise similaire de l’enseignement supérieur comme en témoigne une lettre de solidarité envers le mouvement étudiant québécois : Brooklyn and Graduate center students support Quebec Student Strike, lauch red square solidarity campaign. Une crise qui se généralise et que Noam Chomsky a commentée tout récemment dans son article : The Assault on Public Education et dans cette vidéo : http://www.zcommunications.org/education-student-activism-democracy-by-noam-chomsky
Quant aux interventions policières, pensons à l’adage suivant : plus une manifestation est justifiée et traduit un malaise collectif, voire une colère sous-jacente d’une population entière, ou d’un segment de cette population, plus les États mobilisent de forces policières « efficaces et musclées ». Entre d’autres mots, plus les causes sont réelles, plus la répression est grande. Si les universités et le gouvernement réussissent à faire du savoir une marchandise et à convertir les étudiants en clients-payeurs pour des « services », les fédérations étudiantes pourraient envisager par exemple cette stratégie : mobiliser des milliers de ses membres à boycotter ces services-là, c’est-à-dire à n’effectuer aucune inscription à des cours pour tout un trimestre, par exemple. Alors, à quoi serviront les gros bras, les matraques, les gaz lacrymogènes, le poivre de cayenne, les fusils à eau et les balles en caoutchouc dans ce cas-là ?
Pour terminer cette réflexion, quoi de mieux que d’insérer deux extraits de témoignages émouvants :
« J’aurai bientôt 70 ans. J’étais de la marche du 22 avril 2012, ma plus récente présence dans la rue depuis celle du 24 juin 1968 (… ) J’aurai bientôt 70 ans. J’ai le coeur d’un étudiant, j’ai la tête et l’esprit à la poésie. Je suis Villon, Nelligan et Dylan ; je suis Giguère, Vigneault et Miron. Qu’avez-vous à répondre, citoyenne Beauchamp, et vous, citoyen Charest ? Ah non, par exemple, pas une autre de vos farces plates… Prenez le temps de bien réfléchir, s’il vous plaît. Et soignez votre français, Madame la Ministre de l’Éducation. L’espoir confiant est en marche », Le Devoir, Lettre de l’espoir.
« J’aurai bientôt quatre fois 20 ans. Je suis trop vieux pour manifester dans les rues, mais étudiant, j’ai participé à des manifestations qui n’étaient que jeux d’enfants par rapport au sérieux de celles d’aujourd’hui. Ça c’est vrai ! Des jeunes au discours articulé comme Gabriel Nadeau-Dubois, Léo Bureau-Blouin, Martine Desjardins et Jeanne Reynolds, amenez-en ! Non seulement on en veut, mais il nous tarde de les voir prendre la tête de notre société, de la brasser, de la décrasser et de la renouveler. (…) », Le Soleil, 2 mai 2012, Votons pour eux.
Aux dernières nouvelles, 200 artistes et personnalités publiques appuient la grève étudiante, réclament un moratoire sur la hausse des droits de scolarité et la tenue d’états généraux sur l’éducation supérieure : Nous sommes ensemble. Enfin ! Il y a de la belle effervescence dans l’air !
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